Au loin, on aperçoit enfin les bâtiments et les arbres du siège d'exploitation. Je suis excite comme un enfant le matin de Noël. Plus que quelque kilomètres et je serais de retour!!
Je suis en effet déjà venu ici. J'avais 20 ans, j'étais encore étudiant et j'avais les cheveux longs (!). Dans le cadre de mon cursus d'ingénieur agricole je devais réaliser un stage dans une exploitation agricole a l'étranger. J'avais atterri ici pour passer 3 mois parmi les plus enrichissants de ma vie dans un cadre et avec des gens exceptionnels. Je m'étais juré de revenir mais par rapport a la France ce n'est pas la porte a coté. C'est même le bout du monde,... puis a gauche et encore quelques centaines de kilomètres tout droit! Je pensai donc que ce vœu pieu était voué a l'échec.
Et puis les évènements précipités de cette année 2008 m'ayant redonné disponibilité et mobilité me voila de retour, 7 ans plus tard! Je vais enfin retrouver Ardie et Kacie LORD. Éleveurs de bovins dans l'Outback australien et leurs enfants Nikko, Zara et Alexandra.
Ce sont des gens formidables. Passionnés et passionnants, ils sont bourrés de savoir et de gentillesse. Ils gèrent plusieurs propriétés agricoles regroupant un nombre inconcevable de cheptel et d'hectares pour un Européen. Ce sont des Cattle Barons (Barons de l'Elevage) et pourtant ils sont restés très humbles et humains. Je les adore!
En tout cas, on ne vient pas ici par hasard. J'ai beau chercher dans mon guide touristique de pourtant plus de 1000 pages sur l'Australie, pas un mot sur la ville de Richmond dans l'état du Queensland en Australie ou je me trouve. Une petite ville de 800 habitants sur la surface de la Belgique! Le “centre ville” ne regroupe en fait que quelques commerces et résidences. Le reste de la population vit dans les ranchs aux alentours, appelles ici “station”. La première ville de dimension respectable est a 6h de route a l'est, sur la cote. Il me reste encore 1h30 de piste en 4x4 pour me rendre a Sutherland Station.
Ici on ne parle pas en kilomètres mais en temps de trajet. On est en Australie, ile-continent de la taille de l'Europe pour environ 20 millions de personnes et 20 millions de kangourous. Autant dire qu'il y a de la place.
Eucalyptus, terre rouge, piste qui se perd a l'horizon,... on serait pas en Australie?
Il y a de place car le pays est vaste et n'est pas des plus accueillants. La majorité du territoire est désertique, les températures y sont extrêmes et il n'y a pas d'eau. Si les conditions de vie sont un peu plus favorables, il y a de fortes chances pour que l'une de ces formes de vie soit mortelle pour l'homme (crocodiles, serpents, araignées, requins,...). Si vous prenez la liste des 20 espèces les plus dangereuses ou venimeuses pour l'homme la plupart sont en Australie! Et pourtant un grand nombre de touristes vient chaque année ici, attiré par les attractions touristiques merveilleuses qu'offre le pays (barrière de corail, Uluru, la culture aborigène, etc).
A Richmond je me trouve loin de ces attractions touristiques mais aussi loin des zones les plus inhospitalières du pays. On est a mi chemin on va dire. Je vais entreprendre la lourde tache de vous décrire l'environnement dans lequel je me rend. Je dis lourde tache car j'ai un peu l'impression d'avoir a réécrire mon rapport de stage de 2ème année!
Le paysage est extrêmement plat. Il y a quelques millions d'années, il y avait un océan ici. Quand celui ci s'est retiré plus au nord il a laissé une immense plaine sédimentaire. La région est ainsi riche en roches et fossiles marins. Le père d'Ardie a trouvé un fossile de poisson de plus de 15m sur sa propriété. Plus modestement, Ardie a une crotte de dinosaure fossilisée sur son bureau pour se rappeler que même si on a la chance d'être fossilise on ne sera pas beaucoup plus différents que cette crotte dans quelques millions d'années. Ça l'aide a relativiser dans sa vie. J'adore ce type!
De gauche a droite: Paquerette, Margueritte, Noireaude,...
Le pays est plat mais loin d'être monotone. On alterne entre prairies desséchées et forets d'eucalyptus. Partout des rivières a sec témoignent des inondations de la dernière saison humide. Les couchers de soleil enflamment de rouge les prairies et les levers de soleil en or flamboyant. Cet horizon infini offre un spectacle saisissant qui vous fait sentir tout petit. Seule la montagne m'a déjà procuré de telles sensations.
Une foret d'Eucalyptus. Il y a plus de 700 especes differentes de cet arbre, communement appelle Gum Tree ici. Sur cette photo, l'absence de vegetation est due a une toxine que libere l'arbre dans le sol pour éliminer la concurrence. Pour ce genre de biotope, les Australiens ne font pas dans la dentelle. Une chaine tendue entre 2 bulldozer permettra de mettre au sol tous ces arbres et d'avoir de l'herbe pendant quelques années.
Le climat est tropical sec. Il y a un hiver très sec (mars-décembre), sans aucune précipitation, avec des journées chaudes et des nuits très froides. Entre jour et nuit on passe facilement de 30 a 5 degrés. De décembre a février c'est l'été, avec des températures étouffantes (40 degrés ou plus) la plupart du temps. C'est également la saison de la mousson avec les seules précipitations de l'année. Environ 500mm de pluie ce qui n'est pas si mal mais souvent concentré sur quelques jours seulement. Les inondations sont alors de rigueur. La nature reverdit pour quelques semaines, des fleurs sortent de partout et la vie reprend ses droits. Enfin pas pour les hommes en tout cas puisque tous les moyens de transports sont coupés pour plusieurs jours et que mouches et moustiques sont de la fête!
Waow
Vous noterez au passage que les saisons sont inversées puisque je suis maintenant dans l'hémisphère sud. Nos hivers sont leurs étés et vice versa et le soleil dans le ciel va de droite a gauche au lieu de gauche a droite et le tourbillon dans les toilettes quand on tire la chasse d'eau tourne dans l'autre sens et les gens roulent a gauche mais ça c'est la faute des anglais.
Riviere Flinders assechee lors de la saison seche. Pendant la saison humide elle deborde de son lit sur plusieurs centaines de metres. Les années de grande grande crues, apres la descente des eaux, il est possible de retrouver du bétail mort piégé dans les arbres.
Le seul moyen d'avoir une source d'eau sure en dehors de cette saison humide pour les hommes et les animaux c'est de creuser pour atteindre le grand bassin artésien. C'est le plus large et profond bassin artésien de la planète. Il recouvre 23% du continent et une bonne partie du Queensland. A partir de forages, l'eau est ensuite amenée par pipeline aux abreuvoirs ou résidences. Sans cette ressource en eau il y aurait beaucoup moins de vie ici. Les seules resurgences naturelles de la région sont respectivement a 60 et 100Km de Sutherland.
Les anciennes pompes etaient actionnées par ces éolienes. Aujourd'hui les panneaux solaires les remplacent peu a peu.
Aujourd'hui, grâce a l'eau ramenée a la surface par les forages humains on trouve de la vie partour. Il y a bien sur les races indigènes comme les émus, kangourous, crocodiles, oiseaux colorés,... et beaucoup de races amenées par l'homme et souvent retournées a l'état sauvage: cochons, chats, chèvres, chameaux, lamas, aigles, lapins. Par le passé, la prolifération de certains de ces animaux a posé de grands problèmes comme pour les lapins a la fin du XIXeme siècle. Toutes les tentatives d'extermination manuelle ayant été infructueuses, la solution a été d'amener la myxomatose (une maladie mortelle du lapin) puis de construire une immense clôture a l'épreuve des lapins de plus de 3 000 Km pour garder l'ouest de l'australie a l'abri d'une nouvelle invasion.
Pour anecdote, le premier colon anglais a lacher des lapins en Australie en 1859 avait dit: “L'introduction de quelques lapins ne peut pas faire de mal et apportera une touche du pays en plus d'un nouveau gibier pour la chasse”. Sur qu'il a du chasser!
Entre isolement, sol pauvre et climat difficile l'environnement n'est donc pas très hospitalier. Pourtant cette région, avec le secteur minier, a fait la richesse de l'australie avec l'élevage extensif.
Un autre genre d'Eucalyptus: le bottle tree (arbre bouteille).
Je retrouve donc l'une de ces familles qui vit au milieu de nulle part avec la volonté des premiers pionniers: la famille Lord. Ardie Lord a acheté l'exploitation a la fin des années 60 a 19 ans. A l'époque il n'y avait pas d'eau courante, pas d'électricité, pas de téléphone et du bétail a moitié sauvage.
Aujourd'hui, après des années de travail, lui et sa femme ont crée un vrai petit oasis de verdure perdu dans le bush. Le siège d'exploitation est un immense jardin avec diverses essences d'arbres, des plantes et des fleurs tropicales. Il y a également toute une joyeuse basse cours qui vient mettre de l'animation: chiens, veaux, poules, canards. Il y a 7 ans quand j'étais venu il y avait même un kangourou nommée Mathilda qui venait mendier des cookies a longueur de journée. Mathilda est malheureusement morte depuis mais c'est sans lien avec sa consommation de sucrerie.
Sutherland Station vu du ciel pendant la saison humide.
C'est dans la fraîcheur (relative) de cette végétation que les batiments sont regroupés. Bien sur on trouve la maison de la famille Lord (main House) et divers bâtiments agricoles mais aussi la maison des ouvriers (le Stump) et la maison du Responsable d'Elevage (le Cottage). Vu l'isolement de l'exploitation tout le monde est logé sur place. Il y a également une petite maison en bois toute simple qui sert aujourd'hui de logement pour les invites. Autrefois c'était la maison des ouvriers qui devaient s'entasser a l'intérieur. Son petit nom c'est West Wing ou l'Aile Ouest; comme dans un château. C'est assez comique quand on sait qu'ils l'appelaient comme ça alors qu'a l'époque c'était le seul bâtiment autre que la maison principale qui était alors en piteux état. C'est seulement en 1999 que les Lord se sont offerts le luxe de se construire une belle maison.
La Main House. On fait pire...
Nous avons l'électricité ce qui est appréciable. 100km plus au nord, ce qui est une petite distance ici, il y a une sorte de frontière. Au nord de cette frontière l'agence nationale d'électricité ne délivre plus le courant car les exploitations sont trop peu nombreuses pour rentabiliser la construction d'une ligne. On peut se faire raccorder a ses frais pour au minimum 200 000 euros ce qui coûte un peu cher. Le seul moyen d'avoir la fée électricité pour ces propriétés est de faire tourner un groupe électrogène au diesel. Les panneaux solaires font leur entrée également mais restent chers.
Le Stump, mon petit chez moi en Australie. Stump en anglais venir "poteau". Toutes les maisons sont posées sur pilotis pour eviter d'avoir trop de poussiere a l'interieur et pour proteger le batiment des mouvements du sol entre saison seche et humide.
Nous avons également l'eau potable. Celle ci vient d'un forage et on a la chance qu'elle ne soit pas chargée en minéraux. Quelques kilomètres plus loin c'est une eau fortement chargée en souffre qui sort des forages. Le souffre donne toute leur saveur aux oeufs pourris pour ceux qui ne savent pas. Prendre une douche a l'eau soufrée après une dure journée de travail n'est donc pas une récompense bien méritée. Nous avons également internet. Même si c'est du bas-debit et que l'on doit se partager une seule connection et un seul ordinateur pour tout le monde ce n'est pas si mal. Il y a seulement 15 ans que l'exploitation est raccordée au téléphone.
Vous vous posez sûrement la question des services ici. Non? Je répond quand même. Pour les courses il y a un livreur qui vient 2 fois par semaine pour livrer le courrier et les provisions que l'on commande a la supérette en ville. Si on a besoin de quelque chose en urgence c'est 3h aller-retour pour aller en ville. On essait donc d'être organisé en faisant la liste des courses.
Coooool.
Pour la scolarisation des enfants il y a 2 possibilités. Soit on s'en occupe soi-même soit on fait appel a l'Ecole des Airs (School of the Air). Ce n'est pas une école d'aviation mais une école par radio. Tous les jours, a heure précise, les enfants de l'outback se connectent a une radio grandes ondes pour écouter et participer a la leçon d'un professeur situé parfois a plusieurs centaines de kilomètres. Avec le développement de l'internet par satellite et du haut-debit, écoliers et professeurs ont peu a peu accès a la videoconference. Plusieurs fois par semestre, les enfants se retrouvent en “ville” pour rencontrer leurs camarades radio et profiter d'échanges plus humains. A partir du collège les enfants se rendent dans des internats dans les villes les plus proches.
Enfin, pour ce qui est de la santé, Richmond dispose d'un hôpital dont 97.5% de l'activité doit se résumer a des suivis de grossesse et des naissances. Des qu'un malade a des problèmes un peu plus sérieux le médecin local est vite désoeuvré et vous envoi vers les spécialistes de Townsville, a 6 h de route d'ici. Pour tout ce qui est urgence il y a le service des Docteurs Volants (Flying Doctors). Ces médecins se déplacent en avion pour venir apporter les premiers secours aux grands blessés sur les exploitations et les évacuer. Toutes les exploitations ont donc une piste d'atterrissage en terre battue. Malheureusement, au temps de vol il faudra parfois ajouter une demi-heure ou une heure pour se rendre auprès du blessé si celui ci est accidenté a l'autre extrémité de l'exploitation. Ici plus qu'ailleurs il est donc fortement conseillé de ne pas avoir d'accident grave en travaillant!
(La suite dans le billet suivant)
1 commentaire:
Wahoo ça a l'air super l'Australie ! Et revenir dans ce coin après toutes ces années ça a du être émouvant pour toi!
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